Les echos du safari : bulletin apériodique caennais

Eh oui, il fallait que ça arrive. Dans ces temps de crise, il y avait trop de choses à dire pour se limiter au bulletin habituel, alors pour une fois, nous faisons fi de la gratuité et ce numéro sera prix libre. Trop de choses oui, entre les zèbres qui ont perdus leurs dernières rayures blanches à Strasbourg, les pelles, haches, pioches et truelles qui se sont activées au travail de la terre, les girafes qui sont allées braconner du cul-béni à l'Église Saint-Jean, et le primate qui ne s'est jamais arrêté de se démener afin de faire vivre l'Université destinée à mourir (si elle n'est pas déjà morte). Oui ce fut un mois éreintant, et encore cette liste est loin d'être exhaustive...Mais le CLIC reste actif (toujours des AG). Par ailleurs, la lutte d´edf-gdf à Caen a été intéressante à plus d´un titre : plus de dix semaines de grève générale, organisée en AG (une chaque matin), avec des coupures d´électricité de l´hypercentre-ville, de bâtiments publics, de zones commerciales, de l´électricité offerte à des hôpitaux et des cliniques etc. A la fois contre les projets d´externalisation de certains services et les baisses d´effectifs, mais surtout, et c´est cela qui est attrayant, pour gagner quelque chose (des augmentations salariales). Un mouvement national en rupture avec la résignation généralisée surprenant pour un lieu pacifié depuis longtemps. Dommage qu´il se soit si peu ouvert à l´extérieur, malgré des passages en AG intercatégoriel, aux piquets de grève de Valeo.

Et n'oublions pas les quelques actions anti-nucléaire prévues pour dénoncer le simulacre de démocratie qu'est l'enquête publique concernant le tracé des lignes THT au départ du futur EPR (cf. brèves). Se tient également un camp NO BORDER à Calais du 23 au 29 juin.
La répression elle aussi commence dans nos plaines, tandis que d'autres échos nous murmurent qu'elle continue à s'acharner sur nos camarades de la Taïga. Mais non, nous n'entrerons pas dans leurs cages! Et leurs cages ne suffiront pas !

Nous avions commencé ce bulletin suite à un regain d'espoir et d'optimisme survenu au lendemain du 29 Janvier. L'ébullition suscitée par cette journée laissait entrevoir un possible, nous donnant envie d'écrire et de publier nos textes. Seulement, la tension et la motivation sont rapidement retombées... L'Université, nouvelle Oasis, à son tour a illuminé le Safari. Mais aujourd'hui, nous sommes dans l'impasse, face à un mur, et l'échelle qui permettrait de le passer est en piteuse état.

Où est passé le Safari?

Il s'est perdu dans un mouvement universitaire ennuyeux, qui a toutefois le mérite de la longueur (et c'est peut-être ça le signe du changement, c'est que beaucoup ne sont plus prêts à lâcher, et ont donc fait de la révolte un passage obligé). Et l'Assemblée Générale inter-catégorielle (ou autonome et populaire) suscite l'espoir pour ça aussi : elle va peut-être remobiliser les forces radicales... Et engager quelque chose sur des années, durable, avec des hauts et des bas, mais qui aura le mérite d'exister. Et qui à tout moment pourra être l'outil d'un grand bouleversement. La perspective d'une Convergence des luttes pointe le bout de son nez, les enseignants de l'Université se sont parfois rendus compte de leurs erreurs stratégiques, et des mots tels que « séquestration », « sabotage », s'immiscent sournoisement dans le vocabulaire de drôle d'animaux en pleine dédomestication. Par ailleurs, des réflexions intéressantes sur des moyens de pérenniser des expériences concrètes de transformation des modes de vie commencent (cantines populaires, local durable, retour à la terre…). Plus que de s’inscrire dans des révoltes attrayantes mais qui restent dans une temporalité de l’immédiateté, des constructions sur du long terme pour changer profondément la culture et la vie quotidienne seront la garantie du retournement du vieux monde.

Ce bulletin, en rupture avec les deux premiers numéros par sa taille, s´est construit déjà parce que nous avions envie d´aller plus loin que quelques textes par ci par là - la situation demande une réponse à la mesure du combat à livrer -. Mais aussi parce que Caen a fait l’objet d’une diffusion médiatique sans précédent qui nous a poussé à décrire et expliquer ce qui s’y est passé, d’où le dossier sur la situation locale. En outre, la guerre sociale est bien sûr mondiale, dès lors nous avons voulu la recontextualiser ainsi dans un dossier “ guerre sociale mondiale ” qui témoigne d’expériences de lutte ailleurs. Et que cette guerre est en cours depuis longtemps, et que peut-être nous ne faisons que retrouver une radicalité disparue dans la pacification du fordisme, d’où le dossier “ textes d´hier, idées d´aujourd´hui ”. Et comme nous sommes incontrôlables - et translucides -, s’enfermer dans ces barrières a été pour nous impossible, donc on s´est octroyé une petite place “ Divers ” pour y traiter d´autres choses. En attendant “ le lendemain émouvant, mais difficile ” - ou plutôt sans l´attendre -

(re)MISE A ZERO
Voilà, une année de plus. Une année sans gagner, encore. Une année à y croire, à croire en un possible, un possible avorté une fois de plus, à cause des foies jaunes bien entendu, des flics et de l'État bien sur, mais aussi à cause de nous. A cause de la désertion. Mais cette désertion n'est pas si inattendue. On se fatigue, on se maintient dans la routine. Tous les ans les mêmes luttes, les même stratégies, les mêmes déceptions et les même soubresauts d'espoir. Tous les ans les mêmes commissions, les mêmes A.G.s, les mêmes syndicats et les mêmes guéguerres. On reproduit. On ne se cantonne qu'à ça, une triste et simple reproduction des erreurs du passé, et tous les ans on se dit, «*on se fera pas avoir comme ça l'an prochain*». Je ris jaune.
Tous les ans on fait passer les mêmes décisions en assemblée, des décisions qui nous semblent justes et à bons effets : ouverture à toutes et tous des assemblées générales, commissions, comités et autres groupes de réflexions ouverts. Mais jamais on ne se dit : «*tiens, on fait toujours comme ça, et on gagne toujours pas*». Tous les ans on entend le discours unitaire, on entrevoit un léger mouvement chez les enseignants, et tous les ans on se fait avoir. Tous les ans aussi, on entend le discours de l'Unité, celle avec un U majuscule, et jamais on ne définit ouvertement cette Unité, ce qu'elle détermine et qui elle regroupe, et surtout dans quelle optique.
Ça fait quelques années pour notre part qu'on est présents sur la fac. Parfois en tant qu'étudiants, parfois non. On est las de traîner nos sabots dans le désert, de voir nos mâchoires si tranchantes muselées, de voir nos amis partir plein d'amertume, de fatigue. L'Unité il faut la construire, mais avec qui? Qui dit Unité dit revendications communes, envies communes, aspirations communes. L'Unité nous la désirons, mais pas avec l'UNEF ou la FSU, pas avec la CFDT et la CGT, pas avec FO et toutes ces merdes là. Cette unité, celle avec un u minuscule, c'est celle des grattes papiers, des bureaucrates, des gérants de crises, des négociateurs. C'est l'intersyndicale aux yeux rouges, mais pas de colère, d'un abus de lumière dans la gueule sur les plateaux télé. Celle qui vous vaccine en vous injectant la mort. Il est temps cette année de mettre les choses au clair quant à l'Unité, dès le début.
Une année de plus où on a raté le dernier tramway. Où on s'est laissé bercé par ce qu'il se passait, où les seules discussions de fond que l'on avait, c'était à l'Oasis, à trois ou quatre, avant de repartir imbibés et titubants, pour en oublier la moitié le lendemain. Au moins on a essayé d'écrire, mais trop peu. Quelques textes par-ci par-là, deux bulletins de notre part plus un journal, c'est maigre. L'année commence mieux, un canard de plus vient de sortir (Soleil Noir), on relance les Echos. Maintenant, faut des choses à y mettre, et pour ça, va falloir causer, et c'est prévu. Et mettre en place autre chose que ce que nous faisons dans l’urgence pendant les luttes. Putain de travail, qui prend tant d’énergie*!
Une année enfin où on a cru apercevoir un élan nouveau. Le CLIC (collectif de luttes inter-catégorielles) a permis des rencontres. Mais une fois encore nos automatismes ont pris le dessus, dès le début on a cru aller vers des assemblées de villes, sans que le message ne soit réellement passé. On a cru à une lutte commune, alors que ça n'était qu'une coordination de luttes séparées. Dommage. Il va falloir repartir sur de nouveaux principes, et ça semble en bonne voix.
Enfin, une année encore où nous nous sommes accrochés à l'Université, sans mettre sur le tapis des questions théoriques sur l'école, la fac, les profs. Sur l'administration, les conseils et toutes ces putréfactions nauséabondes. Une année encore où nous nous sommes cantonnés sur notre secteur en parlant d'ouverture à l'inter-catégorielle. Dès le début de l'année ces questions devront être soulevées. Et si vient au jour la question d'un éventuel blocage, il va aussi falloir se pencher sur l'intérêt de cette action, sur le temps que ça libère mais l'énergie que ça bouffe. Et surtout pour faire de ce blocage le seul intérêt qu’il peut avoir*: un lieu de vie autonome, un sas d’expérimentation de nouveaux rapports sociaux tout en étant une base d’organisation. Sur les choses à y faire dès le début pour créer des dynamiques et que tout ne repose pas sur quelques motivés.
Bref, il va falloir sortir de nos habitudes, revenir à des choses nouvelles, repartir à zéro. Pas dans un esprit de destruction des acquis du passé, mais dans une appréhension ludique d'un nouveau mouvement. Essayer, à nouveau, créer pour faire vivre.